Si l'été se fait attendre, le mois de juin, lui, est arrivé.
Et le mois de juin c’est le temps des fenaisons. Ce travail des champs qui consiste à faucher le foin avant de le mettre en bottes. La mécanisation a fait disparaître cette activité encore couramment pratiquée il y a quelques décennies et qui n’avait pas connu grande évolution depuis le XVe siècle comme en témoignent nombre de clichés anciens. Exception faite du costume, bien peu de différences entre les paysannes du premier plan et leurs homologues du début du XXe siècle.
Une pause pendant le travail des champs durant les fenaisons 1920 en Roumanie. Les outils n'ont pas changé, à peine les vêtements...
Une vaste étendue de pré, située en bord de Seine sur la rive gauche est en train d’être fauchée. Tandis qu’au deuxième plan trois hommes s’emploient à sarcler le foin à l’aide de faux, les deux femmes du premier plan retournent l’herbe et la rassemblent en tas au moyen d’un râteau et d’une fourche de bois.
Une fois de plus, les miniatures du calendrier des Très Riches Heures font preuve d’avant-gardisme. Jamais en effet paysannes n’avaient été présentées de manière si gracieuse, particulièrement en ce qui concerne la jeune femme à la robe bleu foncé qui manie la fourche pieds nus. Ses traits sont fins, son port, ses vêtements, ses gestes élégants quand jusqu’ici les petites gens étaient ignorées, au mieux méprisées dans l’art, autant que les bêtes sauvages.
Comme pour le mois de février, un parallèle s’impose ici avec l’art de Bruegel qui consacre une toile aux fenaisons et tire lui aussi la paysannerie du caniveau des arts 115 ans plus tard.
Pieter Bruegel, La fenaison, 1565, Pragues.
Le lieu n’a pas changé ou très peu depuis le mois dernier : à l’arrière-plan se déploie toujours le Palais Royal de la Cité. Au contraire du mois de mai cependant il apparaît cette fois très présent dans la scène. Une poterne donnant sur le fleuve, précédée de quelques marches et surmontée d’un logis en léger encorbellement en permet l’accès. Elle défend l'entrée d'un jardin ceint d’un mur crénelé. Derrière cette poterne, sous laquelle un personnage s’engouffre, se trouve un bâtiment au haut pignon pourvu d’une cheminée et aux murs gouttereaux soutenus par une série de contreforts amortis par d’élégants pinacles, seule aile du palais joignant le fleuve, il s’agit de la « Salle sur l’eau ». Derrière elle on distingue le toit en poivrière de la tour Bonbec, elle-même suivie de deux autres, la tour d’Argent et la tour de César. La galerie Saint-Louis regarde le jardin tandis que derrière elle s’élèvent les deux hauts pignons jumelés de la Grand’salle suivie, dans son prolongement vers la droite de l’image, par le logis du roi, la tour Montmorency et enfin l’imposante Sainte Chapelle, élevée sur ordre de Louis IX de 1242 à 1248 pour abriter des reliques de la Passion du Christ. Outre l’importance proprement démesurée des verrières, le bâtiment est novateur et divisé en deux niveaux verticaux : une chapelle inférieure, dédiée à Notre Dame pour les gens de la cour et une chapelle supérieure, dédiée à la Sainte Couronne d’épines et à la Vraie Croix, réservée exclusivement à l’usage du monarque et de ses familiers et abritant les saintes reliques. Le Palais de la Cité resta la demeure royale jusqu’en 1417 puis devint le siège de l’administration royale et la tristement célèbre prison de la Conciergerie. Marie-Antoinette y est internée en 1793.
Et le duc de Berry dans tout cela me direz-vous ? Il semble en effet bien absent de cette miniature. Il faut dire qu’elle fut réalisée vers 1440, plus de 25 ans après la mort du grand commanditaire et des frères de Limbourg, probablement par un artiste gravitant autour du roi Charles VII. Pour autant la référence au duc de Berry est bien là ; elle est discrète, certes, et tient uniquement au point de vue de l’image. Le pré depuis lequel nous regardons le palais royal de la Cité fait partie des terres attachées à l’hôtel de Nesle, l’une des résidences favorites de Jean de Berry, remplacée de nos jours par la bibliothèque mazarine.
On notera pour finir l’ébauche de mise en perspective, le fleuve et son cours formant notamment une ligne diagonale donnant une véritable profondeur de champ au tableau. Là encore les miniatures des Très Riches Heures innovent, annonçant discrètement ce qui formera l’une des grandes préoccupations des peintres de la Renaissance.