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Histoire & Patrimoine en Haut Berry Giennois
4 février 2010

Février en Berry ça donne ça...

Février est arrivé – comme Zorro, sans se presser – et nous poursuivons notre petit voyage dans le calendrier des Très Riches Heures du Duc de Berry… suivez le guide et couvrez-vous bien parce que la neige est arrivée hé hé !

les_tres_riches_heures_du_duc_de_berry_fevrier_1_

Après la mort très rapprochée des frères de Limbourg et de leur mécène et commanditaire, le duc Jean de Berry, le flambeau est repris par d’autres artistes dont la plupart demeurent anonymes.

Réalisée entre 1438 et 1442 par un peintre de la cour de Charles VII, la miniature illustrant le mois de février, si elle ne rompt pas totalement avec le travail réalisé par les frères de Limbourg sur le mois de janvier présente néanmoins d’importantes innovations. Le changement est immédiatement perceptible par le choix du sujet. S’il s’agit toujours d’une scène de la vie quotidienne, il n’est plus question de dépeindre les fastes de la cour ducale. L’artiste nous donne à voir un aperçu de la condition paysanne en hiver. Par ailleurs, s’il est encore question de scène d’intérieur, cette dernière est rejetée dans l’angle gauche en bas de l’image, le champ s’élargit pour nous faire découvrir un paysage rural sous la neige.

Une ferme, protégée des bêtes sauvages par un enclos – le plessis – occupe le premier plan de la miniature. Sur la gauche se trouve le logis que l’artiste a représenté ouvert de manière à nous montrer la famille paysanne qu’il abrite. Les trois personnages habillés très simplement sont regroupés autour de la chaleur d’un feu de cheminée tandis que derrière eux du linge sèche sur un fil. Modeste, le logis, entièrement élevé en bois, sa charpente couverte de chaume et couronnée d’un manteau de cheminée en osier tressé, ne se compose que d’une unique grande pièce faiblement éclairée par deux petites fenêtres et dont le fond est occupé par un grand lit devant lequel se tient un couple[1]. Une jeune femme vêtue d’une longue robe de laine bleue, de chausses et d’un bonnet noir se tient plus près de la cheminée, probablement leur fille. Un chat est couché à ses pieds qui la regarde.

A proximité de ce modeste logis paysan et presque au centre de l’enclos se trouve une bergerie, elle aussi construite en bois et comptant un nombre relativement important de bêtes proportionnellement à l’époque. La présence de quatre ruches et d’un pigeonnier dans la partie droite de l’image nous conforte dans l’idée que nous avons affaire ici à une famille de paysans aisés pour lesquels le pigeonnier, seul bâtiment construit en dur et figuré ici en moyen appareil assisé de pierre de taille est un signe extérieur de leur réussite sociale. Si les ruches produisent un miel fort apprécié – et donc fort cher – en l’absence de sucre de canne pour assaisonner les aliments[2], les œufs que ce pigeonnier produit sont une source appréciable de nourriture dont l’immense majorité des paysans ne dispose pas. En outre, un dernier bâtiment de bois situé dans le prolongement et à l’arrière de la bergerie et muni d’une petite fenêtre pourrait bien être un poulailler. Enfin on note la présence d’un tombereau à côté duquel un homme emmitouflé dans une couverture de laine écrue souffle dans ses mains, faisant jaillir un nuage de vapeur de sa bouche tandis qu’il s’apprête manifestement à regagner la chaleur du foyer, et de tonneaux, contenant probablement du vin ou de la bière, stockés derrière le corps de logis.

Le second plan est occupé quant à lui par une meule de foin blanchie par la neige près de laquelle un homme vêtu d’un manteau bleu est occupé à abattre un arbre dans un bosquet. La route qui le borde est empruntée par un dernier personnage vêtu de gris, poussant son âne en direction du village dont on aperçoit au troisième plan les habitations massées autour de leur église paroissiale au clocher effilé.

La scène apparaît d’un grand réalisme : les pas dans la neige, la vapeur que dégage l’homme frigorifié sous sa cape de laine, le pas lourd du paysan menant son âne chargé vers le village, tout ici évoque la rudesse de la vie paysanne en hiver et contraste avec les fastes de la cour dont il était question au mois de janvier. Bien que d’apparence réaliste, il s’agit malgré tout d’une vision idéalisée des campagnes berrichonnes enneigées de laquelle se dégage une impression de calme et de paix presque religieuse alors même que les routiers, pillards et autres mercenaires font régner l’insécurité dans tout le pays. Cette vision nouvelle de l’hiver préfigure ce que sera l’art de Bruegel au siècle suivant.

Pieter_Bruegel__chasseurs_dans_la_neige_1565

Pieter Bruegel, dit l'Ancien (v1525-1569), Chasseurs dans la neige, 1565.

[1] Il est amusant de noter pour l’anecdote que ceux-ci ne portent aucun sous-vêtement sous leur tunique de grosse laine.

[2] L’emploi du sucre de canne ne remplacera progressivement le miel dans l’alimentation quotidienne qu’à partir du XIIIe siècle. Très cher, le miel n’était vendu alors qu’en très petites quantités et employé notamment comme médicament.


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Commentaires
F
Cette image est-elle représentative de la situation des paysans du moyen âge
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F
J'ai de la famille au sud de Gien, et c'est vrai que là-bas les habitants se revendiquent tous comme berrichons ! Ce qui m'avait étonnée au départ, mais vos explications le confirment.<br /> Bravo pour ce blog très intéressant.<br /> Et on ne se lasse pas de contempler les enluminures des frères Limbourg...
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