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Histoire & Patrimoine en Haut Berry Giennois
22 janvier 2014

En 2013 ces anniversaires auxquels vous avez échappé

2014 est là. Une nouvelle année commence donc et je forme des voeux pour qu'elle soit douce à chacun et chacune d'entre vous qui lisez ces lignes.

André Lenôtre, huile sur toile, circa 1680.

Eh oui, chaque année, nous n'y coupons pas, voit son lot d'anniversaires historiques et de commémorations, voire de festivités, autour d'un ou plusieurs événements. 2013 fut ainsi nationalement marquée par les 400 ans de la naissance d'André Lenôtre, fameux jardinier de Louis XIV, tandis que les Journées du Patrimoine mirent particulièrement à l'honneur la loi de 1913 portant création des Monuments Historiques. Que voulez-vous, il paraît que nous autres français adorons cela, les anniversaires... J'avoue ne posséder personnellement qu'un goût assez modéré pour ce genre de choses dont on peut fréquemment et légitimement douter de la pertinence et de l'intérêt, sinon pour les maisons d'édition qui, pour peu que l'affaire soit suffisamment médiatique, en profitent pour écouler nombre d'ouvrages plus ou moins spécialisés quant au sujet concerné et d'une qualité souvent très inégale, bien des publications n'étant réalisées que dans le but de répondre à l'événement au plus vite; la commémoration se transformant alors en une véritable machine à cash. 2014 ne fera pas exception, vous ne pouvez pas l'ignorer étant donné qu'on nous en rebat déjà les oreilles depuis mi-2013 dans tous les médias sans exception aucune (une année ne se suffit pas toujours à elle-même semble-t-il...) et sera marquée par le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Je dois vous dire ma consternation à ce sujet. Commémorer un tel événement est évidemment nécessaire, la mémoire de ceux qui ont sacrifié leur vie devant être honorée et perpétuée. Mais ce qui me gène en l'occurrence, c'est l'espèce de jubilation que l'on semble ressentir un peu partout à ce sujet, comme si l'on avait passé des années à attendre de pouvoir "fêter" enfin les 100 ans du début d'une guerre atroce. Fêter le 11 novembre 1918 est une chose, fêter le déclenchement de la plus grande boucherie de l'histoire en est une autre. Aussi, tout en commémorant comme il se doit le début d'un tel massacre, j'aimerais que l'on se souvienne d'autres dates importantes qui ont marqué notre histoire, en dehors de celle, à retenir, du 31 juillet 1914, triste jour où nous perdimes Jaurès.

Ironie de l'histoire, le 27 juillet 1914, à la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale (le 28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclarait en effet la guerre à la Serbie), la France commémorait les 700 ans (1214-1914) de la victoire de Philippe II Auguste, à Bouvines sur les troupes anglaises et prussiennes (en insistant surtout sur les troupes prussiennes d'ailleurs... ). Les 800 ans de Bouvines, voilà une date importante dans la constitution territoriale d'une France alors encore en devenir. (Au cas où cela retiendrait votre attention, on commémore Bouvines ici : http://www.bouvines2014.fr/) Restons dans le sang bleu et pensons à la joie de ce même Philippe Auguste, grand-père le 25 avril de la même année, d'un petit Louis qui deviendrait Louis IX ou encore saint Louis.

Horace Vernet, La bataille de Bouvines, huile sur toile, avant 1863.

Mais on pourrait voir plus loin et se souvenir du 28 janvier 814, jour de la mort de Charlemagne, il y a 1200 ans. On pourrait aussi commémorer les 500 ans de la disparition au château de Blois, à seulement 37 ans, le 9 janviers 1514, d'Anne de Bretagne, dernière héritière du duché de Bretagne, deux fois reine de France (entre autres), par son mariage avec Charles VIII, (mariage orchestré par la soeur du roi, une certaine... Anne de Beaujeu; ça vous revient là ?) puis avec Louis XII, qui avait précédemment fait casser son mariage forcé avec la soeur d'Anne de Beaujeu, Jeanne de France, dite Jeanne la Boîteuse, par la suite titrée duchesse de Berry. (Pour les 500 ans de la disparition d'Anne de Bretagne voir notamment le lien suivant: http://patrimoine.blog.pelerin.info/2014/01/13/2014-celebre-anne-de-bretagne/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+PatrimoineEnBlog+%28Patrimoine+en+blog%29&utm_content=FaceBook)

Anne de Bretagne par Jean Bourdichon, circa 1503-1508.

1464 est aussi une date importante avec la création du premier service de poste royale par Louis XI. 1564 avec la mort de Jean Calvin et le début de la construction du palais des Tuileries par Philibert Delorme et Jean Bullant. 1664, Molière créait son Tartuffe ! 1714 : naissance de Jean-Sébastien Bach, 1764 : mort de la Pompadour, de Rameau, construction de l'église Sainte-Geneviève, notre Panthéon actuel, par Jean-Baptiste Soufflot...

Portrait de Jean Calvin, datation inconnue.

N'oublions pas, comme nous le rappelle l'encyclopédie libre, Wikipedia, le bicentenaire de la disparition du marquis de Sade, le 2 décembre 1814; ou encore 1864 : la naissance de Camille Claudel, d'Henri de Toulouse-Lautrec ou de Richard Strauss. Nous pourrions penser, et nous ne nous en priverons pas du reste, à Antoine de Saint Exupéry qui disparaissait tragiquement, abattu aux commandes de son Lightning P-38, au large de Marseille, de retour d'une mission de reconnaissance en territoire occupé, 30 ans jour pour jour après la mort de Jaurès, le 31 juillet 1944. Mais je vois que j'oublie le Débarquement de Normandie au passage... Bref, 2014 est encore riche d'anniversaires et de commémorations en tous genres, gais ou tristes selon les cas. 

Antoine de Saint-Exupéry à la fin des années 1930.

 

 

Le siège de Sancerre, cet anniversaire auquel vous avez échappé

Mais n'anticipons pas trop car en 2013 nombreux étaient déjà les anniversaires dont on entendit point parler.  Ainsi 813 n'est pas seulement le titre d'une saga de Maurice Leblanc mettant en scène l'incomparable gentleman cambrioleur, ce fut aussi la date de la (prétendue, à défaut de certitude quelconque en toute matière de ce genre) redécouverte de la sépulture de saint Jacques le Majeur. 1163 vit la pose de la première pierre de Notre-Dame-de-Paris (le point fut vaguement évoqué en marge de "l'affaire" des nouvelles cloches), 1563 vit tomber le duc François de Guise, tué d'un coup de pistolet le 18 février par un jeune protestant alors que les troupes catholiques assiégeaient Orléans. 1713 vit la naissance de Diderot, de Soufflot, 1763 la mort de Marivaux, 1863 la mort de Delacroix, d'Alfred de Vigny, et la naissance de Charles Pathé ou de Pierre de Coubertin... etc etc.

Il est cependant un anniversaire, certes au chiffre moins rond que ceux précédemment évoqués, dont on entendit point du tout parler mais qu'il est particulièrement important de garder en mémoire à notre époque contemporaine; celui du siège de Sancerre. Débuté le 9 janvier 1573, cet épisode guerrier ne se termina que le 31 août suivant, il y a donc eu 440 ans en 2013. Demeuré durant des décennies comme un traumatisme, une blessure impossible à refermer, le siège de Sancerre nous plonge dans les méandres d'une humanité faite de bassesses et de grandeurs. Je ne tenterai pas même dans ce billet un résumé tant le sujet est imposant et complexe; je reviendrai sur cette question dans l'avenir, n'étant pour l'instant qu'imparfaitement documenté. Simplement, en quelques mots, ce siège fit immédiatement suite aux massacres perpétrés durant la Saint Barthélémy (nuit du 23 au 24 août 1572) par les catholiques à l'encontre des protestants. Massacre durant lequel périt, comme des milliers d'autres (oui, des milliers), l'amiral de Coligny, personnage que nous aurons également l'occasion d'évoquer puisqu'il donna son nom à l'ancienne commune de Châtillon-sur-Loing, aujourd'hui Châtillon-Coligny, commune de la rive droite de la Loire mais peu éloignée du territoire qui nous intéresse. Du reste son frère était également abbé commendataire de Fontainejean.

Vue de Sancerre par Mérian, XVIIe siècle.

Après ces massacres, Sancerre étant une place forte largement acquise au protestantisme et de longue date bien que ne faisant pas partie des fameuses places de sûreté; qui avait déjà repoussé par deux fois, à peine quelques années plus tôt, les assauts des troupes catholiques, de nombreux malheureux, jetés hors de chez eux, pourchassés, traqués à mort vinrent y chercher asile et protection. Bien que les avis aient été partagés sur ce qu'il convenait de faire ou de ne pas faire à l'égard de ces réfugiés, l'accueil globalement favorable que leur firent les habitants de la ville mit le pouvoir royal dans tous ses états et il fut aussitôt décidé de mettre au pas les Sancerrois, ce qui devait entraîner le siège de la ville par les troupes royales quelques semaines plus tard.

Par sa durée, exceptionnelle, surtout quand on la rapporte à la taille somme toute modeste de la place, par sa dureté qui entraîna jusqu'à au moins un cas recensé de cannibalisme, le siège de Sancerre est assez hors des normes, si tant est qu'il en existe en la matière. Mais surtout il nous rappelle, ainsi que l'ensemble des épisodes des guerres civiles du XVIe siècle, à quel point l'équilibre est fragile dans nos sociétés humaines et comme tout peut soudain basculer dans l'horreur. A Sancerre au mois d'août 1572, tout était paisible, catholiques et protestants vivaient leur quotidien et leurs cultes respectifs en bonne intelligence quand soudain à 150 km au nord, la folie meurtrière de quelques uns rompt la paix fragile dans laquelle se trouve le pays depuis l'édit de pacification de Saint Germain (1570). L'édit n'ayant pas été révoqué, c'est confiants dans les intentions de leur souverain, en dépit de tous les signaux d'alertes clignotant en rouge sang, que les habitants de Sancerre attendirent la suite, ne prenant pas la peine de stocker quelque réserve de nourriture supplémentaire que ce soit tant ils demeuraient persuadés qu'un roi ne pouvait renier la parole donnée et l'acte signé de sa main.

Inscription datée de 1640 sur la cheminée du rez-de-cour de la tour des Fiefs du château de Sancerre. (Photo de l'auteur)

Nous en voyons tous les jours ou presque qui agitent le chiffon rouge, tentant d'allumer ou d'attiser des haines entre communautés religieuses ou ethniques qu'ils comptent ensuite exploiter à leur avantage; ceux-là jouent avec le feu. Ils ne savent pas, ou pire refusent de voir l'horreur d'un passé qui n'est pas aussi éloigné que nous aimerions le penser et dont nous croisons les stigmates tous les jours sans même le savoir, notamment dans notre Haut Berry Giennois si durement frappé par les guerres civiles du XVIe siècle. Ainsi, dans le val, pas une église (celle de Saint-Firmin, village autrefois insulaire, est peut-être une exception, encore que cela ne soit pas assuré) entre La Charité et Gien qui n'ait été consciencieusement brûlée, puis, pour une partie au moins, laborieusement restaurée ou reconstruite en employant des formes nouvelles dont la plupart ont ensuite subsisté, bon an mal an jusqu'à nos jours. Si Sancerre n'est plus une petite Carcassonne ligérienne c'est aussi pour cela et non la seule oeuvre du temps. Ce passé douloureux nous en avons des témoignages sous les yeux quotidiennement qui doivent nous rappeler combien le respect de l'autre dans sa différence, le respect des consciences sont une chose fondamentale pour vivre en harmonie et préserver la paix.

Cependant le siège de Sancerre conforte la foi que nous pouvons avoir en l'humanité. A Sancerre en 1573, tout le monde était soudain protestant, même les catholiques. Quand les Sancerrois, même les plus réticents d'entre eux qui avaient pu voir dans l'arrivée des réfugiés de la Saint Barthélémy une source potentielle d'ennuis, de désagréments pour la ville qui contrariait ainsi quelque peu le pouvoir en place, comprirent finalement ce que leur souverain fomentait contre eux, sujets loyaux quelle que fût leur confession, ils firent bloc. Les catholiques, sûrs de ne pas être inquiétés auraient parfaitement pu faire le choix de partir, de trouver un refuge temporaire dans un village des environs, chez des proches, abandonnant les protestants à leur sort puisque c'était à eux que l'on en voulait. Mais au lieu de cela personne ne bougea. Catholique ou protestant, cela n'avait tout à coup plus la moindre importance. Chacun se sentit solidaire de son voisin et défendit sa vie et celle des autres avec la même détermination et le même courage, infligeant à l'armée royale des pertes au combat près de dix fois supérieures aux leurs, au moyen d'un armement pourtant bien maigre et malgré la famine qui affaiblissait considérablement les défenseurs. 84 sancerrois perdirent la vie dans les combats acharnés pour la défense de la ville tandis qu'au moins 600 soldats des armées royales tombaient sous leurs coups. Si finalement le bilan en vies humaines fut presque équivalent de part et d'autre, ce fut l'oeuvre des terribles privations que subirent les habitants, coupés de toute possibilité de ravitaillement durant des mois.

Sancerre, parc du château, la tour des Fiefs dans le brouillard. (Photo de l'auteur)

 

 Le siège de Sancerre eut un retentissement national et la capitulation ne fut obtenue par les armées royales qu'après celle de La Rochelle. Le lourd tribut que payèrent les Sancerrois sur l'autel de la Liberté et les résonnances que les guerres civiles du XVIe siècle continuent d'avoir dans notre société contemporaine, l'attitude empreinte de noblesse d'une population qui tend la main à ceux que l'on persécute et qui fait preuve, en dépit de sa divergence d'opinion religieuse, d'une solidarité sans faille face au péril de mort qui menace une partie des siens, devraient concourir à ce que l'on se souvienne davantage de ces événements, c'est pourquoi, anniversaire ou non, je tenais à rédiger ce billet. 

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Commentaires
L
Merci Fadette ! :-) Le forum des berrichonnes se porte toujours bien ?
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F
Contente de revoir le guide-conf avec cette analyse toujours aussi pertinente. Bravo.
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