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Histoire & Patrimoine en Haut Berry Giennois
7 décembre 2010

Décembre en Berry, l'heure de l'hallali!

d_cembre_1_

Dernière vignette illustrant les mois de l'année, décembre est sans doute le fruit du travail de l'artiste anonyme de Charles VII, oeuvrant dans les années 1448-1452.

Traditionnellement c'est en décembre que l'on tue le cochon. L'artiste représente au premier plan dans ce dernier tableau la mise à mort du cochon sauvage : le sanglier, à l'issue d'une chasse à courre.

Cette scène contraste assez fortement avec les onze précédentes. Nous avons vu en effet comment le calendrier des Très Riches Heures illustre l'idéal de paix et de prospérité du duc Jean de Berry dont Froissart rapportait que l'on disait de lui qu'il voulait "que ses gens deviennent riches". En effet, si des onze tableaux précédents se dégage une impression de calme et de grande sérénité, cette ultime image contraste par la violence de la scène qu'elle illustre : la curée.

Lancés à la poursuite du fauve, les chiens (dont trois lévriers au milieu de chiens courants) l'ont rattrapé et la meute s'acharne désormais sur lui. Tandis que le veneur en habit bleu achève de sonner l'hallali de son cor, un autre retient l'un des chiens, rendu fou par l'odeur du sang.

Veneur_chien_fou

La chasse au sanglier, chasse à courre, se pratique l'hiver. L'animal a toujours été considéré comme dangereux et nuisible à cause de sa grande propension à ravager les terres agricoles; question plus que jamais sensible de nos jours alors que, privé de prédateur naturel depuis l'extermination du loup, et devant la baisse du nombre de chasseurs, le sanglier prolifère en France, détruisant les cultures quand il n'est pas la cause d'accidents de voitures souvent mortels. Ce trop grand nombre de bêtes pourrait d'ailleurs former une alternative partielle, pourquoi pas, à nos élevages porcins industriels si nocifs pour l'environnement. Mais refermons là cette parenthèse contemporaine. Sous l'Ancien Régime, la viande du sanglier était fort appréciée de la noblesse, friande de gibier et seule autorisée à chasser; la chasse qui, lorsqu'elle se fait à courre et contre un fauve aussi dangereux qu'un sanglier adulte, est un entraînement aux situations de guerre auxquelles les nobles du royaume se préparent à faire face.

Le plan intermédiaire est occupé dans le tableau par une épaisse forêt de feuillus que la fin de l'automne n'a pas encore mis à nue. Cette forêt est celle de Vincennes; au-dessus d'elle, au troisième plan, se détachent les tours et le donjon du château, deuxième plus important palais royal à cette époque, immédiatement après le Louvre et dont le donjon, à l'image de la Tour de Londres outre-Manche conservait le trésor royal.

Comme souvent dans les vignettes du calendrier des Très Riches Heures du Duc de Berry, les niveaux de lecture sont multiples. Au-delà de l'illustration innocente d'une image fréquente à cette période de l'année, la scène est hautement chargée de symbolique. Ce n'est en effet pas un hasard si, vers 1452 se dresse, régnant sur le tableau, le château royal de Vincennes, haut lieu du pouvoir, incarnation du roi de France, Charles VII, qui vient d'en achever la construction; regardant du haut de ses tours, la meute, ivre de sang, mettre à mort après une longue, périlleuse et épuisante traque, le sanglier noir, symbole de la couronne anglaise. La guerre contre "l'Anglais" arrive enfin à son terme après plus d'un siècle de destructions, d'intrigues diplomatiques et de combats acharnés, de massacres, de mêlées meurtrières. Plus de vingt ans après l'épopée de Jeanne d'Arc qui permit le sacre de Charles VII en plein coeur des terres bourguignonnes, pied de nez magistral aux Anglais et à leurs alliés d'un jeune roi à la légitimité précaire, à cause d'une mère volage en la personne d'Isabeau de Bavière; le 15 avril 1450 la Normandie redevient française grâce à la victoire de Formigny. Trois ans plus tard les Anglais sont définitivement vaincus à la bataille de Castillon, le 17 juillet 1453. La Guyenne est française. Libéré de son ennemi de toujours, le royaume est prêt à connaître l'idéal de paix prôné par Jean de Berry.

Et n'y a-t-il pas, dans cet ultime tableau, un petit clin d'oeil au commanditaire de cette oeuvre artistique et de ce manifeste pacifique exceptionnels? Si Vincennes est en effet le deuxième palais du roi Charles VII, 112 ans plus tôt c'est aussi derrière les hauts murs de ce château qu'au soir du 30 novembre 1340, la reine de France, Bonne de Luxembourg, donnait naissance à un petit garçon à qui fut donné le prénom de Jean et qui deviendrait l'un des esprits les plus brillants de son temps, figure du prince idéal dans un royaume en péril.

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