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Histoire & Patrimoine en Haut Berry Giennois
17 avril 2010

Brice de Tours, ténébreux successeur de Martin

Nous poursuivons notre tour d’horizon des saints patrons des villes et villages du Haut Berry Giennois et nous allons nous intéresser aujourd’hui à un personnage pour le moins singulier en la personne de Brice, évêque de Tours, de 397 à 444. Brice est en effet le saint patron du village de Saint-Brisson-sur-Loire. Il est aussi le successeur direct du grand Martin au trône épiscopal de Tours ; notre précédent article était consacré à ce dernier et il est amusant – et peut-être point anodin – de noter que les communes de Saint-Martin-sur-Ocre et Saint-Brisson-sur-Loire sont mitoyennes.

S’il est loin d’être un total inconnu, Brice est tout de même très loin de pouvoir entrer dans le Top 10 des saints les plus populaires. Son souvenir n’a d’ailleurs bien souvent été conservé qu’en grande partie à cause de ses altercations célèbres avec son maître et illustre prédécesseur au trône épiscopal de Tours, le grand saint Martin. C’est en tout cas essentiellement pour cela que les deux sources auxquelles nous pouvons aujourd’hui nous référer nous parlent de lui, comme si sa vie aux péripéties rocambolesques complétait et refermait celle de Martin.

Ce sont en effet Sulpice Sévère, biographe de saint Martin et Grégoire de Tours, évêque ayant succédé à Martin et Brice au trône épiscopal de Tours plus de 150 ans après les faits qui les livrent à notre analyse.

Brice serait né, à en croire ces sources, dans un milieu pauvre. Martin, dont la charité a forgé la légende, l’aurait rapidement recueilli et élevé au monastère de Marmoutier. Ordonné prêtre, probablement aux alentours de l’âge de trente ans, il s’affranchit alors soudainement de la vie ascétique qui avait été la sienne au milieu des moines et profita de sa position d’ecclésiastique pour s’enrichir, amassant semble-t-il une fortune suffisante pour se lancer dans l’élevage de chevaux. Un peu plus tard il acheta des esclaves « de race barbare ». C’est alors que de violentes critiques commencèrent à s’élever à son encontre ; on l’accusa en effet de n’avoir pas acheté que des esclaves mais de les avoir assortis de jolies filles… Quelle qu’ait été la vérité, Martin, manifestement alarmé – et on le comprend – par le comportement de Brice, en qui il ne reconnaissait plus le disciple d’autrefois, le fit appeler auprès de lui. S’en suivit, à en croire Sulpice Sévère, une explication des plus houleuses où les noms d’oiseaux fusèrent mais qui se termina, grâce à la prière de Martin, par une demande de pardon.

Ce à quoi Sulpice Sévère ajoute : « Dans la suite, le même Brictio fut souvent poursuivi devant le tribunal épiscopal pour de nombreux et grands méfaits. Mais on ne put décider l’évêque à déposer ce prêtre. Martin craignait de paraître venger des injures personnelles. »

En effet, entre temps, Brice était apparemment devenu l’un des plus féroces détracteurs de l’évêque Martin. Grégoire de Tours en parle abondamment, citant même un exemple peu à l’avantage de Brice :

« Un jour, un malade, voulant demander à saint Martin quelque remède, vint trouver Brice, qui n’était encore que diacre, et lui dit avec simplicité : Voilà que j’attends le saint homme, et je ne sais où il est, ni ce qu’il fait. Brice lui dit : Si tu cherches ce fou, regarde là bas ; le voilà qui considère le ciel selon sa coutume, comme un homme hors de sens. Et lorsque ce pauvre, l’ayant rencontré, eut obtenu ce qu’il demandait, le saint homme parla ainsi à Brice : Brice, je te parais donc fou ? Comme celui-ci, confus en entendant ces mots, niait qu’il eût parlé ainsi, le saint homme lui dit : Mes oreilles n’étaient-elles pas près de ta bouche quand tu prononçais là bas ces paroles ? Je te dis amen, car j’ai obtenu de Dieu qu’après moi tu fusses honoré du pontificat ; mais tu connaîtras que dans l’épiscopat tu es destiné à bien des peines. Brice, entendant ces paroles, s’en moqua en disant : N’avais-je pas dit vrai , que cet homme parlait comme un insensé ? »

Martin, flegmatique autant que magnanime en avait semble-t-il pris son parti, et Sulpice Sévère rapporte cette phrase savoureuse qu’il répétait souvent : « Si le Christ a supporté Judas, je puis bien, moi, supporter Brictio ! »

Aussi surprenant que cela paraisse, c’est pourtant bien lui qui, sous la pression, notamment des évêques et d’une partie du clergé hostile au populaire Martin, lui succèdera au trône de Tours, après sa mort, survenue le 8 novembre 397. Plus surprenant encore, le fait que, s’il faut en croire Grégoire de Tours, Martin lui-même aurait appelé de ses vœux cette nomination malgré leur antagonisme : autant Martin avait volontairement choisi l’ascèse et la pauvreté, autant Brice, à en croire sa légende, aimait le luxe et l’abondance.

Bien que toujours critique à l’égard de son prédécesseur mais sachant l’immense popularité de ce dernier, l’une des premières actions de Brice en tant qu’évêque de Tours fut, d’après son successeur Grégoire, de faire construire un petit édifice au-dessus du tombeau épiscopal ; édifice dont le couvrement était assuré par une voûte, toujours d’après Grégoire de Tours. Compte tenu de l’époque et de la destination de cette construction, il y a fort à parier qu’il s’agissait alors d’un mausolée bien plus que d’une basilique au sens propre du terme.

Néanmoins, son vieux maître le lui avait promis, son épiscopat ne serait pas de tout repos… et force est de constater qu’il versait dans l’euphémisme en lui faisant cette confidence. Effectivement, après les accusations portées par les moines, fidèles à Martin, lors du Concile de Turin en 398, qui ne firent apparemment que reprendre les précédents faits rapportés par Sulpice Sévère, les événements eux-mêmes tournèrent bientôt aux troubles les plus graves. Après la mort de Théodose en 395, les frontières avaient de plus en plus de mal à contenir les flux migratoires, ces barbares qui ne pensent alors qu’à se ruer à l’assaut des dépouilles d’un Empire Romain bien malade. Une première armée importante, principalement constituée de Vandales franchit le Rhin en 406 sans qu’aucune légion pût leur faire barrage et dévasta une bonne partie de la Gaule durant les deux années qui suivirent. Constantin III évacue ses troupes de Bretagne et abandonne l’île aux Saxons…

Au milieu de ce contexte pour le moins animé, la suite des événements nous est connue avec moins de certitude puisqu’elle n’est plus relatée que par Grégoire de Tours qui, sans être très éloigné chronologiquement des faits, les relate avec un décalage d’environ un siècle et demi, ce qui nuit forcément à la précision de son récit, voire à l’exactitude de tout ou partie de celui-ci. Pour autant nous n’avons d’autre choix que de le suivre puisqu’il est notre seule source pour relater ces faits à défaut d’en avoir été un témoin oculaire.

D’après Grégoire de Tours donc, Brice, dans la trente-troisième année de son épiscopat, ce qui correspond donc à l’année 430, fut accusé par le peuple de Tours, d’avoir mis enceinte l’une de ses religieuses qui venait de mettre au monde une petite fille. S’en serait alors suivi une véritable insurrection populaire et Brice aurait échappé de peu à la lapidation. Mais gardant son sang froid, il aurait demandé à ce qu’on lui apportât l’enfant en question. Une fois devant le nourrisson, à peine âgé de trente jours, il le somma de dire à la foule si oui ou non il était son fils. Devant les témoins médusés, l’enfant aurait alors répondu « Non vous n’êtes pas mon père ». Mais loin de s’en tirer avec ce miracle, Brice dut continuer de subir la fureur de ses administrés ; face à ce phénomène inexplicable on l’accusa en effet de pratiquer la magie.

L’épreuve des charbons ardents n’y changea rien et presque aussitôt on le chassa de son siège et on mit à sa place un certain Justinien qu’ils chargèrent de poursuivre Brice, lequel avait quitté la ville pour Rome, et de « faire ce qu’il avait à faire ». Malheureusement pour lui, Justinien n’eut pas le loisir de mettre à exécution cette basse besogne ; arrivé à Verceil, en Italie, il rendit le dernier souffle. La nouvelle étant parvenue à Tours, Armence fut élevé sur le trône à sa place.

Entre temps Brice était parvenu à Rome où il se mit sous la protection du souverain pontife, auprès duquel il demeura sept ans. Après avoir expié ses fautes et fait repentance, le pape le laissa repartir pour reprendre ses fonctions à Tours. Avant d’entrer dans la ville, il commença par s’établir à Montlouis. C’est là qu’une vision lui révéla la mort d’Armence que la fièvre avait emporté. Une fois ce dernier inhumé, Brice put reprendre son trône épiscopal, qu’il conserva encore sept ans avant que la mort ne l’emporte à son tour « dans la quarante-septième année de son épiscopat » ; il fut alors enterré dans la petite basilique qu’il avait fait élever, près du corps de celui qu’il avait tant critiqué. En 580, Grégoire de Tours fit transférer ses reliques à Clermont. Il est depuis le patron des juges.

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 Saint Brice.

En dépit d’une réputation pour le moins sulfureuse et d’un épiscopat constamment sujet à diverses difficultés, étonnamment, le souvenir de Brice est resté celui d’un saint ; et il semble que son culte, bien que sans aucune comparaison possible à celui de son illustre prédécesseur, ait été, et demeure relativement étendu. Bien qu’aucune étude ne semble avoir été réalisée sur cette question, un petit nombre d’églises, de paroisses et de communes semblent avoir été mises sous son patronage.

On ne s’étonnera pas de lui trouver ainsi une chapelle à Montlouis, là même où il avait fait étape à son retour d’Italie et avait reçu la vision de son rival Armence, terrassé par la fièvre.

Au-delà de la région tourangelle, on trouve différents édifices, paroisses ou communes Saint Brice en Ile-et-Vilaine, dans la Marne, l’Orne, la Haute-Vienne, le Val d’Oise, la Manche, la Charente, la Haute-Garonne, le Languedoc-Roussillon et même jusque dans le canton de Berne, en Suisse.

En l’absence d’étude globale sérieuse, il est difficile de tirer des conclusions de ces recensements, néanmoins il est potentiellement intéressant de constater que la plupart des lieux concernés se situent tout de même essentiellement dans la partie septentrionale de l’Hexagone, plus ou moins proche de Tours ; c’est notamment le cas de Saint-Brisson-sur-Loire et de son église, situés – originellement du moins – en bord de Loire, à environ 180 km en amont du fleuve.

De saint Brice à Saint-Brisson

S’il faut en croire la légende, uniquement orale – et nous serions tenté d’ajouter peu originale – le village aurait pris ce nom dès le Ve siècle, Brice, en route pour Rome aurait en effet évangélisé au passage la population du coteau demeurée païenne. Or une question nous brûle aussitôt les lèvres : que serait venu fabriquer l’évêque déchu à cet endroit alors que son but était de se rendre à Rome – et tant qu’à faire compte tenu de la distance et des moyens de locomotion, par le chemin le plus court – pour trouver le souverain pontife ?

On se souvient par ailleurs que les Tourangeaux avaient lancé son usurpateur de successeur Justinien à sa poursuite avec pour mission de l’assassiner ; il n’avait donc pas de temps à perdre à faire du tourisme, et Saint-Brisson représentait pour lui un détour de 200km par rapport à la route qu’il aurait dû emprunter de Tours à Rome. On voit qu’il y a là un véritable problème. Au demeurant si Martin fit largement acte d’évangélisation durant sa vie, multipliant les déplacements dans ce but, y compris hors et très au-delà des frontières de son diocèse, il ne semble pas en avoir été ainsi pour son successeur dont le seul grand voyage paraît avoir été son séjour en Italie. Quid alors de ce vocable donné à l’église du bourg ?

La réponse à cette question réside probablement précisément là : l’église du bourg. L’église de Saint-Brisson, à la fois paroissiale et priorale, a été élevée par des moines de l’abbaye de Fleury (actuelle abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire), établis dans un prieuré au nord de l’édifice, entre les années 1120 et 1170, remplaçant un précédent édifice probablement en bois.

Le prieuré Notre Dame, dont la date de fondation reste inconnue à ce jour avait été donné à l’abbaye de Fleury vers 1060 par Robert, seigneur de l’époque. Cette donation était la première d’une telle importance depuis la mort de l’illustre abbé Abbon. Ce personnage qui fut avec Gerbert d’Aurillac et Odilon de Mercoeur l’un des trois grands esprits de son temps avait fait de Fleury le premier des monastères et le plus grand centre de culture de tout l’Occident grâce à la qualité des enseignements dispensés par l’école de l’abbaye et à l’importance de sa bibliothèque. Parti calmer l’agitation qui régnait au monastère de la Reole en Aquitaine, il y meurt en martyr le 13 novembre 1004, tué d’un coup de lance. Le choc pour les moines de Saint-Benoît-sur-Loire fut immense d’avoir perdu un guide spirituel d’une telle valeur. Son biographe, Aimoin, souligne dans son récit ainsi que dans son épitaphe l’association qui est faite désormais dans le calendrier bénédictin entre saint Brice et Abbon, tous deux célébrés le 13 novembre. Le prieuré de Saint-Brisson étant la première donation de ce type faite à l’abbaye depuis cette mort illustre il est très probable qu’au moment de choisir le vocable de leur église ils penchèrent pour le saint associé à leur défunt abbé. Cette hypothèse trouve confirmation dans le fait qu’il faille attendre 1072 pour qu’un document officiel – en l’occurrence une bulle pontificale d’Alexandre II – fasse mention du nom de Saint-Brisson pour la première fois. On ignore encore pour l’heure comment se nommait ce lieu avant l’arrivée des moines de Fleury ; peut-être un document concernant le prieuré ou plus sûrement la famille seigneuriale nous l’apprendra-t-il un jour…

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Saint-Brisson-sur-Loire, priorale Saint-Pierre-et-Saint-Brice, XIIe-XVIe-XIXe siècles.

Brice de Tours, personnage controversé qui demeure auréolé de mystère 1500 ans après sa mort ne vint donc probablement jamais sur le coteau saint-brissonnais ; il ne fit jamais de surf en combinaison jaune, quant à ses reliques, que les révolutionnaires clermontois ne manquèrent assurément pas de détruire consciencieusement, elles nous rappellent les préceptes d’un autre Brice clermontois célèbre et au moins aussi controversé : « Un auvergnat ça va, c’est quand il y en a plusieurs que ça pose des problèmes… »

 

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Commentaires
L
Réponse plus que tardive de ma part... Plutôt que d'évoquer abruptement une date pour la construction de l'église de Saint-Firmin, je compte lui consacrer un article, j'espère assez prochainement... un peu de patience, ça va venir ^^
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B
Mr au vu de votre savoir, en quelle année a été construite l'église de saint firmin sur loire (45360)? Merci La Mairie
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